Interview de Vincent, maraicher bio à crémieu

[JAN 2018]

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MM  : Quel est ton parcours, comment en es-tu venu au maraîchage bio ?
 Il s’agit du cheminement d’une longue remise en question, de chercher ma place et le sens de ce que je faisais dans ma vie. J’ai été à Paris pendant longtemps, puis j’ai décidé de quitter Paris pour donner du sens à ma vie, pour essayer de créer, je me suis vraiment dit à un moment j’avais envie de créer le monde autour de moi tel que j’aimerais le voir exister. Donc je suis parti, j’ai fait du jardin, j’ai eu quelques poules, et fait des petits boulots, près de la frontière Suisse. Au bout d’un moment j’ai eu besoin d’aller un peu plus loin et  4 dernières années, j’ai réfléchi à un projet qu’on est en train de monter là justement, d’une école avec une ferme, qui prend un peu une autre tournure aujourd’hui , avec d’autres activités.
 Car pour moi, avec l’éducation, ce sont 2 leviers essentiels aujourd’hui pour évoluer dans la société : l’éducation et la manière dont on mange, l’alimentation et le respect de la terre. J’ai des proches qui ont des bonnes compétences au niveau pédagogique et moi je me suis lancé à voir si je pouvais faire quelque chose en agriculture. J’ai fini par faire une formation de maraîchage bio, très diversifiée.
MM : Pourquoi Crémieu ?
A Crémieu, cette maison, c’était un lieu familial, qui appartenait un grand oncle, et mon père a racheté ici juste l’année où je faisais ma formation, et donc c’était une opportunité. Après, pour être tout à fait honnête, c’est un lieu qui représentait beaucoup d’avantages, mais qui représente aussi des inconvénients par rapport à mes aspirations profondes : c’est un peu trop dans la périphérie urbaine,  j’ai le sentiment d’être vraiment à la frontière entre la campagne et le plateau lyonnais. Mais il y a une centrale à 7km, l’aéroport, l’aérodrome avec des avions qui passent toute la journée Les fois où j’ai besoin d’aller me ressourcer dans la forêt, je trouve jamais du calme, y’a toujours du bruit. C’est le lieu qui est comme ça…
Maintenant, il y a des régions de France où avec les gens on se comprend directement, on a tous plus ou moins cheminé et pris conscience qu’il fallait faire des efforts. A Crémieu, j’ai eu plus de mal… Cette année, j’ai commencé à fréquenter les gens de Crémieu dans les bars etc : hormis qq personnes impliquées dans les associations, comme les ACPC, ferme de chalonne, je me suis rendu compte que j’étais plus  un moteur que l’inverse.
Dans mon projet, il y a une notion de sensibiliser les gens, mais je me suis retrouvé un peu seul. C’est un endroit que je connais pas, donc ça prend du temps pour faire son réseau.
J’aspire à être dans un collectif de gens où on se soutient.
Un des avantages à Crémieu c’est que je suis sûr de vendre toute ma production à un prix raisonnable car il n’y a pas de producteur bio ici, car il y a de l’argent dans cette région, plus que dans d’autres. Il y a une forte demande et j’ai un super accueil, j’ai de bons retours des clients. Je suis dans un lieu préservé à Blied, j’ai une terre qui peut fonctionner si on l’utilise bien. C’est un bel endroit. Mine de rien, je ne suis pas loin de Lyon si je veux faire du culturel. Et il y a des choses qui bougent à Crémieu, avec le SEL des Lauzes, Ciné-Lauzes. Ça fait partie de mes projets d’être un acteur local.
 
MM : Qu’est ce que tu proposes au chant des graines ?

  • Maraîchage à petite échelle sans outil de travail du sol, avec une approche permaculture
  • Transformation de végétaux : tisanes, pesto… Aromates ; pickles, sirops
  • Plans de légumes anciens
  • Cosmétiques : baumes, sticks à lèvres
  • Ateliers cosmétiques, dans l’idée de transmettre les outils
  • Fleurs médicinales
  • Accueil pédagogiques : enfants, adultes, ados
  • Ateliers jardinages
J’aimerais développer des réseaux d’échanges de semences, des débats…. Ça viendra si je reste à Crémieu.
Je travaille en lien avec l’école publique : on a prévu que je les aide à faire un potager, je leur ai proposé de faire une pédagogie autour de la coopération, de l’observation, de l’émerveillement, du vivant… Tout ce que je fais ici en fait. Ce n’est pas parce que pendant des années on a eu une stratégie que c’est forcément la stratégie la + adaptée.  J’adopte une démarche d’optimiser ce que je fais. J’adore quand je fais quelque chose et qu’on me dit que c’est pas possible et que finalement ça marche.
 
MM : Qu’est-ce que la permaculture ?
On y met plein d’idéaux derrière cette idée, qui serait une agriculture avec des techniques plaisantes, efficaces… A la base, c’est un outil de réflexion et de conception pour mettre en place un système adapté à nos besoins et à notre environnement, avec des principes de base de respect du vivant, de juste répartition des surplus de production.Il n’y a pas 2 permacultures pareilles car justement c’est un moyen de s’adapter à ses besoins. Mon agriculture ne sera pas la même que celle de mon voisin car nos besoins ne sont pas les mêmes.Il faut définir la zone zéro/zéro, c’est-à-dire soi-même et de là vont en découler des besoins, des aspirations. Et après on met en place des éléments pour y répondre.Par exemple, Au lieu de se demander comment désherber, on va se poser la question de savoir comment ne pas avoir besoin de désherber.
La permaculture permet de créer des liens, des interactions entre les différents éléments.
J’ai par ailleurs proposé une formation de permaculture humaine : on développe des outils pour dépasser le facteur humain et comprendre comment on peut vivre ensemble, quels sont les freins et les outils pour y arriver.
 
MM : Pourquoi as-tu choisi d’être labellisé maraîcher biologique ?
Pour le maraîchage bio, ça coûte pas cher d’être en bio (500€ par an remboursé par le conseil général les 3 premières années) .Il faut simplement trouver des stratégies pour ne pas utiliser des produits chimiques. Moi je n’utilise aucun produit chimique même ceux autorisés en bio (anti limace, souffre, bouillie bordelaise…) parce que j’ai une autre stratégie de coopération avec le vivant qui fait que si j’utilise ces produits qui tuent le vivant, je perds de la ressource. Un maraîcher qui me dit qu’il ne fait pas du bio parce que ça coûte trop cher, j’ai des doutes. Je me méfie des gens qui prétendent faire « comme de la bio », c’est-à-dire en « raisonné » .Etre en raisonné, ce n’est en aucun cas réfléchir à comment se passer des produits chimiques, c’est juste utiliser le minimum. En bio, on ne nourrit pas les plantes, mais les microbes qui nourrissent les plantes. On nourrit la vie du sol.
Ça demande de noter tous les travaux faits au jardin, paillage etc… ça demande d’utiliser des semences bio.  Ça demande d ‘avoir toutes les factures pour les produits transformés. J’ai fait certifier mon spot de cueillette sauvage d’ail des ours par exemple, à consiste à faireconfirmer par le propriétaire qu’il n’utilise pas de produits chimiques.
L’agriculture biologique est la seule agriculture qui est contrôlée. J’ai eu 3 contrôles en 2 ans, contrôles inopinés et prévus. Il n’y a pas de contrôle en agriculture raisonnée.
Au début j’ai acheté des outils de base, une bâche, une brouette, du terreau. J’essaie de limiter l’investissement. La 1ère année, j’ai mis 2000€, la 2ème année, j’ai mis 3000€. C’est une démarche, faire un maximum de récup’
Manger bio et local, c’est gagnant/gagnant : au delà du fait de protéger sa santé, c’est favoriser l’économie locale, savoir à quoi sert notre argent, c’est un acte militant, ça préserve la planète, c’est un acte politique.
Si on était 10 maraîchers à Crémieu, on pourrait nourrir l’ensemble de la populationx et faire concurrence aux supermarchés, ça permettrait de favoriser des emplois locaux épanouissants, d’avoir une dynamique locale tout en mangeant mieux, de payer ses impôts locaux et non de favoriser l’évasion fiscale : au final, tout le monde y gagne , il faut qu’on en prenne conscience.